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  • Les vents ont des noms selon leur provenance et où ils soufflent. Le Foehn est un vent chaud du désert qui remonte jusque dans les Alpes et dépose à son passage sur tout le paysage une fine couche de sable rose; le Mistral de la vallée du Rhône peut rendre fou tellement il souffle fort et longtemps; la Tramontane, comme son nom l'indique, provient des montagnes en direction du golfe du lion; le vent d'autan souffle d'est en ouest dans le bassin aquitain; l' Aquilon, vent mauvais du nord  annonce la tempête; la bise, est aussi un vent du nord nord-est, froid et sec, que craint la cigale; le Zéphyr,  au contraire, est doux et chaud comme une caresse.. il y a aussi la petite brise légère, qui vient de partout et de nulle part et disparaît comme elle est venue. Et partout ailleurs, chaque pays a des noms différents pour ses vents comme pour les apprivoiser et les arrêter un peu mais c'est peine perdue, ils continuent de souffler.

     

     

       Anna laissait le vent glisser sur sa peau, elle l'entendait qui frémissait dans les feuilles, souffle tiède, qui s'interrompait, et reprenait. C'était tellement agréable qu'elle ferma les yeux et alors elle entendit mieux son bruissement en haut des branches. Elle avait l'impression qu'elle écoutait mieux les yeux fermés, qu'elle sentait mieux le vent. Quand elle les rouvrit, son grand-père Marco était là qui l'appelait:

    - Viens on va se promener.

    - Où ça?

    - Partout, viens, jusqu'à la mer.

    Elle sauta de l'arbre où elle était perchée et le rejoignit.

    - Quel vent aujourd'hui! C'est un vent du sud qui amène la pluie pour demain.

    - Regarde comme je m'envole dit-elle. Et elle s'élança, poussée par le vent, sur le chemin. Marco qui avait du mal à suivre, s'efforçait de marcher vite pour la rattraper quand il commença à ralentir.

    - Qu'est-ce que tu as grand-père?

    - Je manque un peu de souffle , il faut ménager ton vieux grand-père tu sais.

    - Oui je sais, dit-elle renonçant à courir, viens on va s'asseoir un peu.

    Assis l'un près de l'autre sur le talus, ils restèrent d'abord silencieux puis quand Marco eut repris son souffle et comme le vent ne faiblissait pas, il demanda à Anna si elle connaissait l'histoire de "Vent léger".

    - Non! c'est qui Vent léger? s'exclama-t-elle déjà impatiente. 

    - C'est une jeune indienne sioux qui avait ton âge à peu près; on l'a appelé Vent léger parce qu'elle était née un jour où soufflait un doux vent d'été sur la grande plaine. Son nom lui allait bien car quand on l'appelait elle arrivait toujours en courant et silencieusement les pieds dans ses petits mocassins de peau. Elle avait le visage cuivré, un peu énigmatique et des cheveux sombres qu'elle tressait soigneusement chaque matin.

    - Moi aussi grand-père, j'ai un visage énigmatique?

    - Pour moi ton visage est aussi clair que le jour, dit son grand-père en souriant, mais peut-être qu'un jour quelqu'un le trouvera énigmatique...Et donc c'était la coutume dans cette tribu sioux d'offrir un cheval à chaque jeune indien ou indienne dès qu'il était en âge de marcher. Chaque enfant devait petit à petit apprendre à s'en occuper, à le monter, à le panser et à le surveiller du regard, dès le matin en sortant de son tepee, jusqu'au moment où le troupeau rentrait le soir. Vent léger avait reçu un petit cheval blanc et roux, vigoureux et têtu qu'elle avait eu un peu de mal à dresser. Les autres enfants de son âge Yepa, Waban, AmaroK et d'autres encore avaient eux aussi reçu des chevaux. Ils étaient  de plus haute taille, à la robe plutôt sombre ou mordorée. Quand elle  regardait le sien au loin, il se détachait avec sa robe bigarrée.

     A l'âge où elle eut  le droit de s'aventurer seule en dehors du campement, ce qui vient assez vite chez les Indiens, vers dix ou douze ans, elle partait souvent à cheval plusieurs heures, au petit galop, au trot, couchée sur l'encolure, le nez dans la crinière à sentir le vent. Plus rien ne comptait alors..

    - ça devait être bien!

    - Oui elle adorait ça! Elle le laissait aller à sa guise, et elle se laissait parfois griser par la vitesse, les cheveux au vent. Quand le vent d'ouest soufflait, le Chimook, descendant des Rocheuses, ils semblaient faire la course avec lui le long de la rivière, couchant les herbes sur leur passage, frôlant les branches et se glissant dans le sous-bois. Il arrivait à Vent Léger de fermer les yeux, comme toi tout à l'heure.. Et quand c'était l'heure de rentrer, d'un petit coup de talon et en se penchant sur le côté, son cheval comprenait que la balade était terminée et rentrait. Ils entraient dans le village aussi silencieusement que Vent léger quand elle arrivait en courant.

    Chez les Sioux, les jeunes indiens et indiennes devaient passer un rite d'initiation marquant leur passage à l'âge adulte  et pour cette tribu, c'était une course de chevaux. Les chevaux étaient alignés sur une ligne imaginaire dans la grande plaine et ils devaient galoper jusqu'au grand rocher qui correspondait à la ligne d'arrivée.

     Les Anciens montaient sur la colline pour observer la course.. Et à la fin, ils désignaient à chacun leur rôle futur dans la tribu. L'un des plus prestigieux était de devenir le messager. C'était un honneur que désiraient tous les jeunes indiens car ils allaient devoir transmettre les messages de leur tribu aux autres indiens sioux et à tous les autres. Ils allaient voyager, être reçus comme des ambassadeurs, découvrir le monde. Et Vent léger rêvait d'être messagère.

    - Moi aussi j'aurais aimé être messagère, soupira Anna, mais comment va-t-elle faire pour gagner la course si son cheval est le plus petit?

    - Curieusement ce n'était pas nécessairement les plus rapides à la course qui étaient désignés pour être messagers. D'autres critères entraient en ligne de compte, comme la tenue à cheval, le respect de sa monture, son allure.

    La veille de l'épreuve chacun devait préparer sa monture et sa  plus belle tenue.

    Au lever du soleil, tous les jeunes indiens étaient attendus sur la ligne d'arrivée, sur leurs chevaux piaffant d'impatience. Vent Léger s'avança aussi le coeur battant. Elle avait magnifiquement tressé la crinière et la queue de son cheval et elle ne perçut pas le sourire un peu méprisant d'Amorok sur sa belle monture pie.

    - Pourquoi méprisant?

    - Parce qu'Amorok trouve sans doute que tous ses efforts de décoration ne suffiront pas pour qu'elle devienne messagère.

    Et tous s'élancèrent d'un seul mouvement venant de face, luttant contre le vent d'ouest tout d'abord puis certains se détachèrent. Vent Léger, malgré la fougue de son petit cheval était un peu en arrière.

    Anna se taisait, supporter indéfectible de Vent Léger, attendant la suite.

    - C'est alors, continua Marco avec un étrange sourire,  que le Chimook qui soufflait incroyablement fort ce jour-là apporta à ses narines une odeur , venant de face. Cette odeur, Vent Léger la connaissait et elle lui disait "danger", c'était l'odeur un peu forte et agressive des grands fauves, les pumas. " Il y a des pumas en face, cachés dans les herbes se dit-elle", et malgré son retard, elle donna une inflexion à la trajectoire de son cheval comme pour éviter le danger qu'elle pressentait. Tous les autres jeunes indiens poursuivaient leur course endiablée, Amorok, en tête.

    En contournant ainsi la prairie, Vent Léger perdait progressivement du terrain, le sol était plus accidenté, bosselé, et son cheval malgré son ardeur, devait ralentir imperceptiblement; Vent Léger pensa qu'elle s'était trompée et que son rêve de devenir messagère s'envolait à tire d'aile, quand, du centre de la prairie, retentirent des hennissements sauvages, suivis de cris et de feulements rauques. Les pumas s'étaient débusqués au moment où les chevaux au galop allaient les dépasser et leur apparition sema la panique parmi ceux-ci. Certaines montures se cabraient pour échapper aux crocs acérés, d'autres faisaient demi-tour. Les jeunes cavaliers eux-mêmes n'en menaient pas large, sachant qu'une chute entraînerait, au mieux, de graves blessures. Ils s'agrippèrent aux encolures et lancèrent leurs montures à un rythme effréné dans n'importe quelle direction. Pendant ce temps, ceux du village qui assistaient à la scène, voyaient la menace et poussèrent des cris. Au bout de quelques minutes d'une panique indescriptible, les pumas s'enfuirent parmi les hautes herbes et disparurent. Certains chevaux qui avaient été poursuivis étaient blessés aux flancs ou aux pattes mais, par chance aucun jeune indien n'avait été gravement atteint.

    - Et Vent léger pendant ce temps?

    Pendant ce temps, elle s'était arrêtée, regardant de loin sans savoir que faire. Son cheval en sueur était tout tremblant et elle se demandait s'il lui fallait continuer la course. Elle était sûre de gagner maintenant, vu l'état de ses concurrents; mais peut-être pensa-t-elle, sans le formuler vraiment, que ce genre de victoire n'était pas de celles qu'elle recherchait et lentement elle reprit le chemin du village. Chacun était occupé à se remettre de ses émotions, à panser les chevaux blessés et à soupirer de la fin impromptue de cette journée de fête. Personne ne s'occupait de son arrivée, sa perspicacité était passée inaperçue.

    Un peu désappointée, elle s'avança dans le village, Amorok évita son regard mais Vent Léger s'aperçut que son pantalon était déchiré et qu'il lui manquait un mocassin. Elle s'apprêtait à descendre de cheval quand Yeda vint à sa rencontre et lui dit, d'un air mystérieux, que le conseil des Anciens la demandait. Vent léger n'avait jamais été admise au conseil des Anciens et d'une façon générale les jeunes Indiens ne l'étaient jamais. Aussi sentit-elle son cœur battre à tout rompre, elle laissa Yeda prendre soin de sa monture et s'avança, hésitante, vers la tente du conseil.

    Les  Anciens fumaient lentement et l'espace sombre était empli d'une fumée âcre. Ils n'interrompirent pas leurs discussions à l'entrée de Vent Léger qui s'assit en tailleur, près d'eux, silencieuse. Elle entendit que c'était une mauvaise année et qu'une malédiction avait lancée cette horde de pumas sur les chevaux. Il fallait écouter les signes du destin.  Au bout d'un long moment, le plus vieux des Indiens s'adressa à Vent Léger.

    - Vent Léger, tu es la seule qui as su contourner la horde des pumas, qui as été à l'écoute des signes de leur présence et en ce sens tu as bien réussi,.... mais tu as commis aussi une faute. Ayant conscience du danger, tu aurais dû prévenir les autres plutôt que les laisser courir un risque qui aurait pu être mortel pour l'un d'eux. Une messagère n'est pas responsable que d'elle même, elle est aussi responsable de son peuple.

    - Mais, s'exclama Anna, ils se seraient tous moqués d'elle. Déjà Amorok a souri quand il l'a vue avec son cheval tout décoré.

    - Oui elle avait des excuses mais aux yeux des Anciens, celles-ci ne devaient pas l'empêcher de faire son devoir et d'avertir les autres.

    - Ils ne sont pas justes ces vieux Indiens!

    - Les Anciens avaient leurs raisons.-  Nous ne pouvons pas te confier le rôle de messagère cette année, reprit l'ancêtre mais puisque tu sembles douée pour te repérer et pressentir le danger mené par le vent ajouta-t-il avec un sourire, tu vas partir en mission cet automne avec Amorok.

    - Amorok! S'exclama malgré elle Vent Léger.

     

    A suivre


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  • Pluie

     

    En espagnol, pluie se dit lluvia, les deux "l" font deux rideaux de pluie tombant incessamment; à l'inverse, rain en anglais est une petite pluie intermittente, plutôt froide et drue; pioggia en italien, c'est une pluie d'été, impromptue et abondante mais qui ne dure pas. Il y a tant de mots pour la pluie dans toutes le langues du monde: regen, Kisa, chuva, yagmur... En persan, c'est très beau: un point sur un demi-cercle ouvert vers le ciel, une barre oblique, une sorte de virgule, un rectangle ouvert vers le ciel avec un point en dessous. En français, avec son "i", la pluie a quelque chose de pointu, de léger, on sent les petites gouttes qui tombent une à une, beaucoup plus qu'avec le verbe "il pleut" qui n'a pas de "i" et qui évoque davantage le déversement ininterrompu des eaux du ciel sur la terre, et avec lui la mélancolie du poème de Verlaine  dans sa Chanson d'Automne "Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville..."

     

    Anna se dépêchait de rentrer. Elle n'avait que des sandales aux pieds et sautait par dessus les flaques nouvellement formées. De l'eau ruisselait sur son visage et le long de ses cheveux bruns. Il avait d'abord plu quelques grosses gouttes de pluie d'été, puis celle-ci s'était mise à tomber de plus en plus drue sur les rues poussiéreuses, giclant sur les trottoirs, mouillant tout, même sous les arbres. Elle entra rapidement en poussant la porte avec l'épaule, jeta son sac, sa veste, enleva ses chaussures détrempées et s'essuya le visage de ses manches encore sèches. Quelle pluie! Mais quelle pluie! J'en ai marre de cette pluie, c'est l'été et il pleut! Je ne peux pas sortir, on ne peut rien faire. Tout le monde s'ennuie et moi aussi.

    Marco, son très vieux grand-père, avec lequel elle vivait depuis que ses parents étaient partis en exploration, sortit de la cuisine et l'envoya se sécher les cheveux: Non tout le monde n'en a pas marre de la pluie, lui dit-il. Il a très peu plu cet été. La terre a besoin d'eau.

    - Mais elle en a de l'eau la terre! répondit Anna, en regardant par la fenêtre. Il peut s'arrêter de pleuvoir maintenant.

    - Tu veux que je te raconte un voyage que j'ai fait, il y a bien longtemps, dans un pays où, parfois, il manque d'eau, et où il pleut très peu.

    - Si tu veux, dit-elle en haussant les épaules légèrement.

    - Tu connais la Tunisie? De l'autre côté de la Méditerranée. Le pays est touristique, surtout les côtes, Tunis, Sousse, ou l'île de Djerba, parce qu'il y a la mer, les plages et un climat agréable, chaud et sec en été mais avec des précipitations en hiver, de la pluie, mais aussi de la neige, de la grêle.

    - J'aimerais mieux qu'il neige, soupira Anna.

    - Lors de mon voyage en Tunisie, continua Marco, je ne suis pas resté longtemps sur les côtes mais je suis descendu vers le sud. Après Sfax,  je suis passé par Gafsa puis toujours plus au sud. J'avais une bonne vieille Citroën, capable de rouler n'importe où et de supporter de rudes conditions.  J'avais l'intention de voir le désert, les dunes, le sable, l'horizon infini. J'ai d'abord traversé, par une chaleur accablante,  des étendues arides, comme des lacs à sec, brillants de sel et qui, par réverbération, peuvent produire des mirages; puis je suis arrivé à Douz. C'est une bourgade de maisons de la couleur de la terre. Elles sont d'une forme très simple,  rectangulaires avec très peu de fenêtres pour garder la fraîcheur et disposées autour d'une cour en U. La première personne que j'ai rencontrée m'a accueilli comme on accueille un étranger depuis la nuit des temps dans les pays d'Orient, comme si j'étais un prince ou l' ambassadeur d'un pays ami. Il m'a renseigné, m'a fait visiter les environs, m'a invité chez lui. C'était Mansour, le jeune épicier du village; dans sa boutique, il vendait de tout; conserves, épices, bazar et surtout il avait un réfrigérateur, un luxe à Douz,  dont, à l'époque, peu de familles disposaient. Il y conservait des boissons et des laitages. Quel plaisir de boire à pleine gorge un soda bien frais par 40°! C'est ce plaisir, petit par ailleurs, mais immense ici, que pouvait offrir Mansour à ceux qui fréquentaient son épicerie. Le visiteur que j'étais étant venu jusqu'à lui, Mansour ferma sa boutique pour m'emmener visiter les plantations un peu à l'extérieur de Douz car Mansour entretenait aussi quelques parcelles de terre.

     L' endroit marquait la limite avec le désert, qui s'étendait au-delà. Le terrain était cultivé, soigné.  Je reconnus sur les bordures des figuiers de barbarie, des grands palmiers dattiers, des orangers et des grenadiers, de la menthe fraîche qui courait sur le sol, des légumes et d'autres plantes encore que je ne connaissais pas.  Un système d'irrigation avait été installé par les villageois pour former cet oasis de verdure et de fraîches senteurs.

    Un puits à pompe, que Mansour a activé, a laissé couler un filet d'eau claire issue des nappes souterraines. Comme il faisait une chaleur intense, après nous être lavé les mains, nous avons bu dans celles-ci comme dans des coupes. Je le regardais boire. Pas une goutte n'avait été perdue. Et j'ai essayé de faire de même. L'eau ici c'était le moyen de repousser le désert, de se nourrir, de rester sur sa terre.

    Pourtant Mansour m'expliqua qu'autrefois la plantation, avançait bien avant dans le désert mais qu'elle avait reculé car l'eau devenait rare, et rien ne pouvait empêcher les dunes d'avancer et eux de reculer.

    - Il ne pleut jamais là-bas demanda Anna?

    - Il pleut une ou deux fois dans l'année, les mois d'hiver, et les habitants de Douz reçoivent cette pluie comme un cadeau du ciel, pas comme toi aujourd'hui, ajouta Marco en clignant d'un œil.

     Puis Mansour m'a invité dans sa famille. Nous avons passé la soirée dans la cour de sa maison, assis sur des tapis à même le sable, la nuit était splendide et nous avions la tête près des étoiles. Nos voix, nos rires se détachaient dans la semi-obscurité. Et au matin, je suis reparti.

    - Et tu l'as revu, après, Mansour?

    - Je lui ai écrit une ou deux fois mais je n'ai jamais eu de réponse de ce gardien des portes du désert.

    - Tiens!, dit Anna, il s'est arrêté de pleuvoir.

     

     

     

     


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  • Neige

     

     

     

    Neige

     

     

     

    Les Finlandais ont une dizaine de mots pour désigner la neige : lumi (neige), hanki (couche de neige), räntä (neige fondue), hyyhmä (neige fondante), kinos (entassement de neige, congère), viti ou asken satanut lumi(neige fraîche), lumentulo (chute de neige), lumi enttä (champ de neige),... ; en français nous n'avons que le mot « neige ».

     

    C'est un joli mot cependant. Il est léger comme un flocon, et un peu magique avec son « g » et son « i » ; alors peut-être qu'un jour, ce mot disparaîtra.

     

     

     

     Anna regardait tomber la pluie derrière la vitre tout au long de son mercredi après-midi. On était en janvier, il faisait doux, la pluie dessinait de la grisaille et des gouttes glissaient sur le verre empli de buée suivant un chemin oblique et hésitant vers le bas. Anna les suivait un moment du doigt puis portait son regard à nouveau vers le lointain, la pluie, les immeubles, quelques passants pressés avec parapluie ou capuche, des flaques d'eau et des voitures aux essuie-glace à fond.

     

     « Il n'y a plus d'hiver », disait en soupirant son grand-père Marco, qui était très vieux, vu qu'il était né en 1998, il y avait plus de 70 ans,   « plus d'hiver ! » avec comme une rage au cœur. Léa s'en moquait bien qu'il n'y ait plus d'hiver, mais il y a une chose qu'elle regrettait de ne pas connaître. C'était la neige. Elle en avait vu dans des vieux films, elle avait vu des enfants s'amuser en s'envoyant des boules de neige ou en construisant des drôles de bonshommes. Elle avait vu aussi des skieurs dans des séries comme Alpen 1990 ou Millénia qui se déroulaient en hiver au début du XXIème siècle, mais maintenant ce sport n'était plus pratiqué, les canons à neige consommaient trop d'énergie et il ne neigeait plus jamais, les montagnes n'étaient plus recouvertes, les glaciers avaient fondu jusqu'à leur sommet, et même aux pôles, il n'y avait plus de glace, plus de banquise, c'était fini tout ça. Plus personne n'avait jamais vu de la vraie neige, même en Finlande, depuis au moins vingt ans.

     

    Dis, c'était comment la neige ?

    C'était, c'était comment dire, c'était blanc, c'était froid, c'était doux, mais ça pouvait aussi être dur.

     D'abord il y a avait le ciel qui devenait tout blanc à l'horizon puis quelques flocons qui voltigeaient dans l'air, légers..On se mettait à la fenêtre et on criait « Il neige ! Il neige ! », on s'emmitouflait de la tête aux pieds, bonnet, écharpe, gants, bottes et on se dépêchait de sortir pour être le premier à marcher ou plutôt à danser dans la neige. On essayait de jouer au foot mais on glissait. Sous les pieds ça crissait, dans les mains ça fondait, en cinq minutes on avait les joues rouges de froid et de plaisir. C'était comme un cadeau du ciel pour les enfants mais en fait, même s'il fallait déneiger, déblayer les rues, les chemins, les trottoirs, tout le monde était heureux quand il neigeait.

     

    Un jour, racontait le grand-père de Anna, nous nous sommes réveillés sous la neige, elle était tombée toute la nuit et continuait à tomber dru au petit matin. On ne voyait plus rien du jardin, tout était enseveli. C'était le silence complet, les voitures ne roulaient pas, les gens n'étaient pas encore sortis et découvraient par leur fenêtre l'enchantement du paysage, devenu méconnaissable. Ce fut lui, Marco, qui s'en aperçut en premier, frappé par le silence. La petite chienne qui habituellement jappait au premier bruit matinal dans la maison ne se manifestait pas. Mais où était passée Sirocco ? On l'appela, la siffla « Sissi ?? », « SiSSi ? » « Sirocco ! » « Viens voir la neige ! ». Mais rien pas de réponse, pas un soupir, pas un aboiement du dehors comme du dedans. Elle a dû rester enfermée dans la cave, pensa Marco et il descendit quatre à quatre pour la libérer, mais la cave était vide. Cette matinée n'était vraiment pas comme les autres, de la neige et pas de Sirocco. Pas de Sirocco pour partager sa joie, pour se rouler comme une folle dans la neige poudreuse, pour tenter de la manger en la mordant.. Sa gaieté s'assombrit un peu et Marco descendit prendre son petit-déjeuner.

     

    Anna écoutait silencieuse, Marco lui avait déjà parlé de Sirocco mais ne lui avait jamais raconté cet épisode, un jour de neige... Mais elle était où Sirocco ?

     

     Marco sortit la chercher dans tout le quartier en la sifflant, en se rendant dans ses coins habituels, sous le pont, vers les poubelles, il sonna chez les voisins, occupés à déneiger leur garage, pour leur demander s'ils n'avaient pas vue, mais non personne ne l'avait vue. Il était rentré penaud et pensif à la maison. Puis aussitôt, il était ressorti et faisant le tour de la maison avait aperçu des petites traces presque effacées par la neige fraîche qui partaient vers le petit bois derrière la maison. Sirocco habituellement ne s'y aventurait pas. Était-ce trop loin de ceux qu'elle aimait ? Elle restait d'ordinaire dans le jardin et autour de la maison.

     

    Marco avait suivi les traces jusqu'au bois sans trop de mal puisqu'on y distinguait des allers-retours de pattes et quelque chose comme un chiffon traîné. Étaient-ils plusieurs chiens à suivre cette piste, était-elle seule ? Mais alors pourquoi tous ces allers-retours. Tel un indien suivant une piste, Marco suivait les empreintes. Il pénétra dans le bois, les branches étaient recouvertes de neige, le sol était encore sec par endroits mais à d'autres, où la végétation était moins dense, la neige s'accumulait et on s'y enfonçait. « Sirocco, Sirocco ! » mais toujours rien. Rien de la petite fougueuse avide de caresses qui lui sautait dans les jambes et lui léchait les joues et les mains jusqu'à ce qu'il demande grâce, rien de la douce fourrure dans laquelle il cachait parfois ses pieds, contre ses flancs, pour les avoir plus chauds.

     

    Les traces continuaient, il les suivait.Il arriva près d'un talus et il lui sembla qu'elles s'arrêtaient. « Sirocco ? ».

     

    Dans le grand silence de la forêt enneigée, il entendit comme un petit jappement. Mais d'où? Rien n'avait bougé aux alentours. Un paquet de neige se détacha d'une branche qui craqua et la neige tomba d'un bruit sourd sur le sol. Un oiseau s'envola. Il frissonna, s'avança un peu, le silence à nouveau puis après quelques instants, il entendit plus nettement un jappement. C'est alors qu'il vit une ouverture dans le talus, protégée par un muret de neige tassé comme pour un igloo et, par là, il aperçut le museau terreux de Sirocco. « Mais qu'est-ce que tu fais là ma belle ? Viens, il faut sortir ; viens à la maison. » Un nouveau jappement l'avertit que non, il n'en était pas question. Marco s'agenouilla alors à l'entrée du terrier et aperçut son pull de laine acheté justement pour l'hiver. « Ben tu t'en fais pas, mon pull, t'as vu l'état ? ». Elle baissa le museau sans le regarder et il s'écoula ainsi quelques instants pendant lesquels l'animal essayait de faire comprendre quelque chose à l'humain qui ne comprenait rien. « Mais qu'est-ce que tu fais là, allez viens, on va rentrer, et rends-moi mon pull ! » dit-il en le tirant par la manche. Faisant ce geste, il amena jusqu'à lui une petite chose informe que Sirocco rattrapa de la gueule. Une petite chose qui poussait des gémissements et qu'elle colla à sa mamelle. Un chiot. « Mais !!, mais tu as fais des petits !! ». Elle poussa un léger aboiement heureuse qu'il eût enfin compris. « Mais pourquoi là, dans la neige ?». Alors, il s'allongea carrément, pour mieux voir, et en compta quatre, tous semblables, tous blottis sur le pull et contre le ventre bouillant de Sirocco. Ma Sirocco, je n'aurais pas imaginé. Je pensais que c'était son poil d'hiver qui lui donnait cette allure de matrone majestueuse. Pourquoi était-elle venue se perdre ici ?

     

    Le terrier était bien protégé du froid par le mur igloo qu'avait construit Sirocco, il ne savait comment. La barrière de neige les protégeait des regards et du vent glacial de janvier.

     

    Sirocco s'était éloignée pour mettre bas, comme souvent les animaux même domestiques, qui recherchent un endroit loin des hommes, de leurs regards, de leur curiosité et peut-être de leur inconséquence. L'instinct.

     

    « Pourquoi de leur inconséquence ? » demanda Anna. « Il n'y a qu'à voir avec la neige », répondit Marco, sans plus d'explication.

     

    Ce jour-là, il entreprit de la faire sortir de son espèce d'igloo mais elle résistait des quatre pattes et de tout son poids. Alors Marco lui porta deux fois par jour à boire et à manger. Quand la neige fondit enfin, au bout d'un mois, on la vit sortir, prendre le chemin retour, suivie par quatre petites boules bringuebalantes qui sautillaient derrière elle.

     

     

     

    Anna quitta la fenêtre et choisit pour son portable un nouveau fond d'écran : Neige.

     

     

     


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