• Jules Barbey d'Aurevilly

    Parmi les récits, qui ont le plus fortement frappé mon imagination, on trouve le roman L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly et ses nouvelles Les Diaboliques. 

    Commençons par la tonalité de départ, immédiatement perçue qui constitue "le fond de notre écoute par delà les méandres de la signification" comme le dit si bien Julien Gracq: « Il y a terriblement d’années, je m'en allais chasser le gibier d'eau dans les marais de l'Ouest- et comme il n'y avait pas alors de chemins de fer dans le pays où il me fallait voyager, je prenais la diligence de *** qui passait à la patte d'Oie du château de Rueil et qui, pour le moment, n'avait dans son coupé qu'une seule personne. Cette personne, très remarquable à tous égards; et que je connaissais pour l'avoir beaucoup rencontré dans le monde, était un homme que je vous demanderai la permission d'appeler le vicomte de Brassard..."

    Qu'entend-on, quel univers nous est donné à partager dans cet incipit de la première nouvelle des Diaboliques?

    Un ancrage réaliste est assuré par la présence de lieux existants, par l'allusion à des modes de transport comme les modernes chemins de fer ou la diligence puisque ceux-là font défaut, mais aussi par l'adresse au lecteur et enfin par la rencontre fortuite d'un personnage "crédible" qui va devenir par la suite lui-même le narrateur. Par ailleurs, le texte est parcouru d'un  romantisme sombre lié au cadre: un pays de marais; de paysages naturels où l'on peut chasser, et la présence d'un château au loin; mais ce romantisme provient aussi de la référence au passé et à cet adverbe surprenant "terriblement" qui attise l'attention du lecteur associé aux "années" et semble semer l'effroi sur ce passé rappelant peut-être certains épisodes de la Terreur, à moins que ce ne soit qu'un regret rageur du narrateur d'avoir autant d'années derrière lui. L'évocation d'une personne "remarquable à tous égards", doté d'un titre de petite noblesse situe le récit dans le monde aristocratique de l'Ancien-Régime, un monde oublié, devenu fantomatique que la narration va ressusciter. La locution restrictive "ne..que" dans la phrase "Il n'y avait dans son coupé qu'une seule personne" concentre l'attention sur cette personne beaucoup rencontrée dans le monde et la situe déjà comme ayant un certain passé de dandy. Avec la précision géographique, "Dans les marais de l'ouest", on sait par ailleurs qu'on est en terre de chouanerie et que l'auteur lui-même, Barbey d'Aurevilly, un temps républicain et démocrate y est revenu, déçu par la politique et la vie parisienne. Réalisme teinté de romantisme et nostalgie d'un monde à la grandeur passée, voici pour l'ambiance.

    Le style d'Aurevilly s'adresse au lecteur comme s'il faisait partie d'un cercle d'intimes, auquel il réserve ses confidences. Il s'adresse à eux, avec égard et connivence, sans avoir besoin de les initier à ce qu'il considère comme allant de soi.

    Ses personnages sont connus d'eux, au moins pour quelques uns qui servent à situer les autres. Tous sont de nobles personnes par le prestige, la hauteur de vue, la vie passionnée qu'il sont vécue. Par de médiocrité dans le mal comme dans le bien, pas d'histoire banales mais au contraire d' extraordinaires qui brillent par leur intensité et leur noirceur,  et hantent longtemps.   


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