• J'apprécie cette auteure; ici le sujet est un peu attendu, solitudes en temps de confinement, mais certains passages sont magnifiques . En voici un passage où Serge, l'un des nombreux personnages, rend visite à sa mère, d'origine russe, en maison de retraite et lui apporte les gâteaux qu'elle aime. "Quand il était petit, il aimait que sa mère lui raconte des histoires, en boucle. Encore, encore! suppliait-il aussitôt le conte achevé, et elle devait recommencer de zéro, sans omettre un passage, pas même un mot, car il connaissait par coeur le récit. Le délice était dans la voix de sa mère. Fénia, à la voix chaude et légèrement voilée.  A présent, tout ce qu'elle a aimé s'est effacé. Elle n'a que, quelques points de fixation, une strophe d'un sonnet de du Bellay, qu'il lui arrive de déclamer tout à trac au milieu d'une conversation, ou du moins de ce qui en tient lieu, en respectant l'articulation des diérèses:

    Si oncques de pitié ton âme fut atteinte

    Voyant indignement ton ami tourmenté

    Et si oncques tes yeux ont expérimenté

    Les poignants aiguillons d'une douleur non feinte..."

    Et là, elle cale et s'arrête épuisée."

    La fois d'après Serge ne pourra plus rendre visite à sa mère en raison des règles sanitaires et ses gâteaux lui restent sur les bras. Ce fils aimant et cette vieille femme qui s'accroche désespérément à quelques vers de poésie sont particulièrement touchants. Ce "oncques" inusité aujourd'hui qui signifie "jamais" redevient vivant dans sa bouche et semble rejoindre les tréfonds de sa mémoire oubliée. 


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  • Une nouvelle des plus charmantes, qui réconcilie avec l'humanité.

    Deux tendres agneaux, Hans Fallada


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  • Parmi les récits, qui ont le plus fortement frappé mon imagination, on trouve le roman L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly et ses nouvelles Les Diaboliques. 

    Commençons par la tonalité de départ, immédiatement perçue qui constitue "le fond de notre écoute par delà les méandres de la signification" comme le dit si bien Julien Gracq: « Il y a terriblement d’années, je m'en allais chasser le gibier d'eau dans les marais de l'Ouest- et comme il n'y avait pas alors de chemins de fer dans le pays où il me fallait voyager, je prenais la diligence de *** qui passait à la patte d'Oie du château de Rueil et qui, pour le moment, n'avait dans son coupé qu'une seule personne. Cette personne, très remarquable à tous égards; et que je connaissais pour l'avoir beaucoup rencontré dans le monde, était un homme que je vous demanderai la permission d'appeler le vicomte de Brassard..."

    Qu'entend-on, quel univers nous est donné à partager dans cet incipit de la première nouvelle des Diaboliques?

    Un ancrage réaliste est assuré par la présence de lieux existants, par l'allusion à des modes de transport comme les modernes chemins de fer ou la diligence puisque ceux-là font défaut, mais aussi par l'adresse au lecteur et enfin par la rencontre fortuite d'un personnage "crédible" qui va devenir par la suite lui-même le narrateur. Par ailleurs, le texte est parcouru d'un  romantisme sombre lié au cadre: un pays de marais; de paysages naturels où l'on peut chasser, et la présence d'un château au loin; mais ce romantisme provient aussi de la référence au passé et à cet adverbe surprenant "terriblement" qui attise l'attention du lecteur associé aux "années" et semble semer l'effroi sur ce passé rappelant peut-être certains épisodes de la Terreur, à moins que ce ne soit qu'un regret rageur du narrateur d'avoir autant d'années derrière lui. L'évocation d'une personne "remarquable à tous égards", doté d'un titre de petite noblesse situe le récit dans le monde aristocratique de l'Ancien-Régime, un monde oublié, devenu fantomatique que la narration va ressusciter. La locution restrictive "ne..que" dans la phrase "Il n'y avait dans son coupé qu'une seule personne" concentre l'attention sur cette personne beaucoup rencontrée dans le monde et la situe déjà comme ayant un certain passé de dandy. Avec la précision géographique, "Dans les marais de l'ouest", on sait par ailleurs qu'on est en terre de chouanerie et que l'auteur lui-même, Barbey d'Aurevilly, un temps républicain et démocrate y est revenu, déçu par la politique et la vie parisienne. Réalisme teinté de romantisme et nostalgie d'un monde à la grandeur passée, voici pour l'ambiance.

    Le style d'Aurevilly s'adresse au lecteur comme s'il faisait partie d'un cercle d'intimes, auquel il réserve ses confidences. Il s'adresse à eux, avec égard et connivence, sans avoir besoin de les initier à ce qu'il considère comme allant de soi.

    Ses personnages sont connus d'eux, au moins pour quelques uns qui servent à situer les autres. Tous sont de nobles personnes par le prestige, la hauteur de vue, la vie passionnée qu'il sont vécue. Par de médiocrité dans le mal comme dans le bien, pas d'histoire banales mais au contraire d' extraordinaires qui brillent par leur intensité et leur noirceur,  et hantent longtemps.   


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  • Salade russe au Mont Blanc

     

    Salade russe au Mont Blanc, le petit dernier d' Hervé Bodeau, un ami de longue date, écrit en duo avec Cedric sapin Defour; u style et de l'humour! Avec une belle couverture créée par Natacha Myrotidès

    Une bonne histoire pleine de rebondissements, pour ne pas dire de montagnes russes, de l'humour à petite dose, mais régulièrement et une fine observation des pratiques chamoniardes et de la course au Mont-Blanc, qui doit ravir tous les connaisseurs...


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  • C'est un très grand luxe d'avoir du temps pour soi, d'écouter régulièrement France Culture le matin. Le niveau de cette radio est remarquable, je me le dis régulièrement. C'est l'université, pour ne pas dire l'universel, à la maison, le matin, devant ses tartines et son café. Les intervenants sont souvent des universitaires, ou des chercheurs, passionnés par leur sujet et sachant en parler. Les sujets sont riches et divers. Ce matin, par exemple, sur les Chemins de la philosophie animés par Adèle Van Reeth,  journaliste de talent et philosophe socratienne (dans la mesure où elle sait questionner), il était question de Darwin. L'histoire de la création et de la publication de L'Origine des espèces en novembre 1859, est présentée et surtout la façon dont Darwin est arrivé à son raisonnement, à sa thèse inédite, si bien que c'est la première fois que je la comprends vraiment. Que je comprends

    - ce qu'implique la théorie de l'évolution avec l'idée de sélection naturelle, d'adaptation, de hasard qui fait que c'est tel spécimen qui se trouve mieux adapté pour survivre à un certain moment en fonction de l'éco-système ambiant, et donc que c'est ce spécimen là qui va survivre (grâce à sa faculté d'adaptation) et pas un autre;

    - ce que cette théorie rejette et notamment la présence d'un projet (divin) extérieur ou antérieur pour l'homme;

    - ce que cette théorie ne rend pas ne rend pas incompatible: l'idée d'évolution naturelle subie et d'éthique chez l'homme.

     

    Le caractère subversif de cette théorie de l'évolution m'apparaît plus clairement que jamais, et au fond je comprends (tout en adhérant aux idées de Darwin) que l'on ait du mal à accepter cette absence de projet pour l'homme (et la femme); c'est à dire cette non reconnaissance du divin, cette idée que nous ne sommes que le fruit d'une évolution nécessaire (et non d'une genèse qui devait inévitablement aboutir à l'homme, image de Dieu), même si ce fruit est pourvu, à la longue, de spécificités clairement humaines. Pour Darwin la spécificité humaine est davantage liée à une question de  degré qu'à une différence totale d'avec les autres êtres vivants. On trouve des traces de notre "originalité" dans d'autres espèces mais moins développées. 

    Ce petit résumé n'est pas trop rébarbatif je l'espère mais montre quelle a été la richesse de l'émission de ce matin, qui va se prolonger encore demain. 

     

     

     


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